Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme des autres sans se heurter aux résistances de l’opinion ambiante. Voilà pourquoi les premières nécessitent, avant tout examen, l’adhésion de l’intelligence, comme les secondes déterminent immédiatement la soumission de la volonté.

On peut vérifier à nouveau sur cet exemple comment une théorie sociologique de la notion de causalité et, plus généralement, des catégories, s’écarte des doctrines classiques sur la question, tout en les conciliant. Avec l’apriorisme, elle maintient le caractère préjudiciel et nécessaire de la relation causale ; mais elle ne se borne pas à l’affirmer ; elle en rend compte, sans pourtant le faire évanouir sous prétexte de l’expliquer, comme il arrive à l’empirisme. Au reste, il ne saurait être question de nier la part qui revient à l’expérience individuelle. Il n’est pas douteux que, de lui-même, l’individu constate des successions régulières de phénomènes et acquiert ainsi une certaine sensation de régularité. Seulement, cette sensation n’est pas la catégorie de causalité. La première est individuelle, subjective, incommunicable ; nous la faisons nous-mêmes avec nos observations personnelles. La seconde est l’œuvre de la collectivité, elle nous est donnée toute faite. C’est un cadre dans lequel viennent se disposer nos constatations empiriques et qui nous permet de les penser, c’est-à-dire de les voir par un biais grâce auquel nous pouvons nous entendre à leur sujet avec autrui. Sans doute, si le cadre s’applique au contenu, c’est qu’il n’est pas sans rapport avec la matière qu’il contient ; mais il ne se confond pas avec elle. Il la dépasse et la domine. C’est qu’il a une autre origine. Ce n’est pas un simple résumé de souvenirs individuels ; il est, avant tout, fait pour répondre à des exigences de la vie commune.

En définitive l’erreur de l’empirisme a été de ne voir dans le lien causal qu’une construction savante de la pensée spéculative et le produit d’une généralisation plus ou moins méthodique. Or, à elle seule, la pure spéculation ne peut donner naissance qu’à des vues provisoires, hypo-