Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/62

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que l’homme dépend de ses dieux, la dépendance est réciproque. Les dieux, eux aussi, ont besoin de l’homme ; sans les offrandes et les sacrifices, ils mourraient. Nous aurons même l’occasion de montrer que cette dépendance des dieux vis-à-vis de leurs fidèles se maintient jusque dans les religions les plus idéalistes.

Mais, si une distinction purement hiérarchique est un critère à la fois trop général et trop imprécis, il ne reste plus pour définir le sacré par rapport au profane que leur hétérogénéité. Seulement, ce qui fait que cette hétérogénéité suffit à caractériser cette classification des choses et à la distinguer de toute autre, c’est qu’elle est très particulière : elle est absolue. Il n’existe pas dans l’histoire de la pensée humaine un autre exemple de deux catégories de choses aussi profondément différenciées, aussi radicalement opposées l’une à l’autre. L’opposition traditionnelle entre le bien et le mal n’est rien à côté de celle-là : car le bien et le mal sont deux espèces contraires d’un même genre, à savoir le moral, comme la santé et la maladie ne sont que deux aspects différents d’un même ordre de faits, la vie, tandis que le sacré et le profane ont toujours et partout été conçus par l’esprit humain comme des genres séparés, comme deux mondes entre lesquels il n’y a rien de commun. Les énergies qui jouent dans l’un ne sont pas simplement celles qui se rencontrent dans l’autre, avec quelques degrés en plus ; elles sont d’une autre nature. Suivant les religions, cette opposition a été conçue de manières différentes. Ici, pour séparer ces deux sortes de choses, il a paru suffisant de les localiser en des régions distinctes de l’univers physique ; là, les unes sont rejetées dans un milieu idéal et transcendant, tandis que le monde matériel est abandonné aux autres en toute propriété. Mais, si les formes du contraste sont