Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/625

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intuitions obscures de la sensation et du sentiment y tiennent souvent lieu de raisons logiques. Par un côté, cette spéculation ressemble donc à celle que nous rencontrons dans les religions du passé ; mais, par un autre, elle s’en distingue. Tout en s’accordant le droit de dépasser la science, elle doit commencer par la connaître et par s’en inspirer. Dès que l’autorité de la science est établie, il faut en tenir compte ; on peut aller plus loin qu’elle sous la pression de la nécessité, mais c’est d’elle qu’il faut partir. On ne peut rien affirmer qu’elle nie, rien nier qu’elle affirme, rien établir qui ne s’appuie, directement ou indirectement, sur des principes qu’on lui emprunte. Dès lors, la loi n’exerce plus, sur le système des représentations que l’on peut continuer à appeler religieuses, la même hégémonie qu’autrefois. En face d’elle, se dresse une puissance rivale qui, née d’elle, la soumet désormais à sa critique et à son contrôle. Et tout fait prévoir que ce contrôle deviendra toujours plus étendu et plus efficace, sans qu’il soit possible d’assigner de limite à son influence future.

III

Mais si les notions fondamentales de la science sont d’origine religieuse, comment la religion a-t-elle pu les engendrer ? On n’aperçoit pas au premier abord quels rapports il peut y avoir entre la logique et la religion. Même, puisque la réalité qu’exprime la pensée religieuse est la société, la question peut se poser dans les termes suivants qui en font mieux apparaître encore toute la difficulté : qu’est-ce qui a pu faire de la vie sociale une source aussi importante de vie logique ? Rien, semble-t-il, ne la prédestinait à ce rôle ; car ce n’est évidemment pas pour satisfaire des besoins spéculatifs que les hommes se sont associés.

On nous trouvera peut-être téméraire d’aborder ici un problème d’une telle complexité. Pour pouvoir le traiter