Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

grande partie de son autorité, c’est qu’il l’appliquait également aux phénomènes biologiques, et même aux faits physico-chimiques les plus complexes[1] ; or il n’y a plus à démontrer aujourd’hui que la chimie et la biologie ne peuvent être que des sciences expérimentales. Il n’y a donc pas de raison pour que ses critiques soient mieux fondées en ce qui concerne la sociologie ; car les phénomènes sociaux ne se distinguent des précédents que par une complexité plus grande. Cette différence peut bien impliquer que l’emploi du raisonnement expérimental en sociologie offre plus de difficultés encore que dans les autres sciences ; mais on ne voit pas pourquoi il y serait radicalement impossible.

Du reste, toute cette théorie de Mill repose sur un postulat qui, sans doute, est lié aux principes fondamentaux de sa logique, mais qui est en contradiction avec tous les résultats de la science. Il admet, en effet, qu’un même conséquent ne résulte pas toujours d’un même antécédent, mais peut être dû tantôt à une cause et tantôt à une autre. Cette conception du lien causal, en lui enlevant toute détermination, le rend à peu près inaccessible à l’analyse scientifique ; car il introduit une telle complication dans l’enchevêtrement des causes et des effets que l’esprit s’y perd sans retour. Si un effet peut dériver de causes différentes, pour savoir ce qui le détermine dans un ensemble de circonstances données, il faudrait que l’expérience se fît dans des conditions d’isolement pratiquement irréalisables, surtout en sociologie.

Mais ce prétendu axiome de la pluralité des causes

  1. Système de Logique, II, 478.