Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/64

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moins que leurs adversaires, procédaient exclusivement par introspection. Or, les faits que l’on n’observe que sur soi-même sont trop rares, trop fuyants, trop malléables pour pouvoir s’imposer aux notions correspondantes que l’habitude a fixées en nous et leur faire la loi. Quand donc ces dernières ne sont pas soumises à un autre contrôle, rien ne leur fait contrepoids ; par suite, elles prennent la place des faits et constituent la matière de la science. Aussi ni Locke, ni Condillac n’ont-ils considéré les phénomènes psychiques objectivement. Ce n’est pas la sensation qu’ils étudient, mais une certaine idée de la sensation. C’est pourquoi, quoique, à de certains égards, ils aient préparé l’avènement de la psychologie scientifique, celle-ci n’a vraiment pris naissance que beaucoup plus tard, quand on fut enfin parvenu à cette conception que les états de conscience peuvent et doivent être considérés du dehors, et non du point de vue de la conscience qui les éprouve. Telle est la grande révolution qui s’est accomplie en ce genre d’études. Tous les procédés particuliers, toutes les méthodes nouvelles dont on a enrichi cette science ne sont que des moyens divers pour réaliser plus complètement cette idée fondamentale. C’est ce même progrès qui reste à faire à la sociologie. Il faut qu’elle passe du stade subjectif, qu’elle n’a encore guère dépassé, à la phase objective.

Ce passage y est, d’ailleurs, moins difficile à effectuer qu’en psychologie. En effet, les faits psychiques sont naturellement donnés comme des états du sujet, dont ils ne paraissent même pas séparables. Intérieurs par définition, il semble qu’on ne puisse les traiter comme extérieurs qu’en faisant violence à leur nature