Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/98

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savoir s’il a droit à cette dénomination, il ne suffit pas d’observer sous quelle forme il se présente dans la généralité des sociétés qui appartiennent à cette espèce, il faut encore avoir soin de les considérer à la phase correspondante de leur évolution.

Il semble que nous venions de procéder simplement à une définition de mots ; car nous n’avons rien fait que grouper des phénomènes suivant leurs ressemblances et leurs différences et qu’imposer des noms aux groupes ainsi formés. Mais, en réalité, les concepts que nous avons ainsi constitués, tout en ayant le grand avantage d’être reconnaissables à des caractères objectifs et facilement perceptibles, ne s’éloignent pas de la notion qu’on se fait communément de la santé et de la maladie. La maladie, en effet, n’est-elle pas conçue par tout le monde comme un accident, que la nature du vivant comporte sans doute, mais n’engendre pas d’ordinaire ? C’est ce que les anciens philosophes exprimaient en disant qu’elle ne dérive pas de la nature des choses, qu’elle est le produit d’une sorte de contingence immanente aux organismes. Une telle conception est, assurément, la négation de toute science ; car la maladie n’a rien de plus miraculeux que la santé ; elle est également fondée dans la nature des êtres. Seulement elle n’est pas fondée dans leur nature normale ; elle n’est pas impliquée dans leur tempérament ordinaire ni liée aux conditions d’existence dont ils dépendent généralement. Inversement, pour tout le monde, le type de la santé se confond avec celui de l’espèce. On ne peut même pas, sans contradiction, concevoir une espèce qui, par elle-même et en vertu de sa constitution fondamentale, serait irrémédiablement malade