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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/107

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LES DEUX TESTAMENTS

— Vous me haïssez, je le sais trop bien. Ma présence vous déplaît. Je vous suis à charge ; et il en a toujours été ainsi depuis notre mariage. Pourquoi cela ? Qu’ai-je fait pour mériter ainsi votre haine ?

J’ai enduré longtemps sans me plaindre votre conduite inexplicable à mon égard, mais ma patience est lassée enfin. Je veux savoir la cause de l’aversion que vous ressentez pour moi.

Tout en parlant, il s’était animé de plus en plus. Ses traits étaient bouleversés par la colère. Ses yeux brillaient d’un éclat farouche.

A l’aspect du changement qui s’était opéré dans son mari depuis quelques instants, Mde Bernier resta pâle et terrifiée.

Elle ne pouvait comprendre comment l’homme qui avait été si doux, si indulgent et si pacifique depuis vingt ans, pouvait en si peu de temps devenir violent comme il l’était en ce moment.

Elle en aurait été moins étonnée si elle eut comprit mieux le caractère de son époux.

Le défaut dominant de Edmond Bernier était un égoïsme absolu, brutal, concentré.

Ce n’était pas par bonté, ni par indulgence qu’il s’était montré si doux et si conciliant envers sa femme jusqu’à ce jour, mais il avait toujours espéré qu’à force de tendresse et d’attentions, il réussirait enfin à vaincre sa froideur et son aversion.

Il s’était donc fait une règle de conduite et il l’avait toujours scrupuleusement suivie.

Souvent, bien souvent, un geste, un regard, une parole révélant chez sa femme l’indifférence la plus absolue, l’avait mis hors de lui même, mais il avait su dompter sa colère et garder le masque de douceur qu’il s’était imposé.

Il voulait être aimé de sa femme, il le voulait de toute la force de son âme. Pour une caresse volontaire, pour un long regard d’amour, il aurait donné la moitié de sa vie.

Mais le jour où il aurait abandonné l’espoir d’inspirer à Maria un amour égal à celui qui le consumait lui-même, il aurait été capable de l’écraser sous ses pieds, dans sa rage et son désappointement, car son amour ne se rapportait qu’à lui-même ; l’amitié véritable et l’affection sincère n’y avaient pas de part.

Cependant, Mde Bernier, troublée d’abord avait repris ses sens, mais en même temps il lui semblait qu’une révolution se taisait dans son âme.

Depuis vingt ans, elle avait vécu comme dans un rêve, ne prêtant