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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/159

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LES DEUX TESTAMENTS

mit au piano, et commença à jouer un air doux et plaintif.

Bernier qui écoutait sans rien dire, se rappela que Joe Allard avait chanté cet air plusieurs fois.

— Elle pense encore à ce misérable, se dit-il avec une colère toujours grandissante, et ne pouvant se contenir plus longtemps, il dit brusquement, d’une voix qui fit tressaillir la jeune fille.

— Marie-Louise !

— Que voulez-vous ? mon père, dit-elle en se remettant

— Je veux une réponse définitive. Je veux que tu consentes à épouser Théophile Laplante.

— Je resterai fille toute ma vie, si vous le voulez, mon père, mais je n’épouserai pas ce jeune homme ; je vous l’ai déjà dit.

Suffoquant de rage, le père s’écria.

— Si tu ne l’épouses pas je te maudirai, et il semblait près à s’élancer pour anéantir cette enfant qui lui parlait d’un ton si calme et pourtant si ferme.

— Effrayée comme elle ne l’avait jamais été de sa vie, Marie-Louise s’échappa du salon et courut se réfugier dans la chambre de sa mère qui se leva toute tremblante en voyant sa fille entrer aussi subitement.

— Qu’as-tu donc, ma fille ? es-tu malade ? demanda-t-elle avec une inquiétude mortelle.

— Papa vient de me menacer de me maudire, si je n’épouse pas Théophile.

Elle n’en put dire plus long. Se sentant suffoquée elle s’approcha de la fenêtre ouverte pour respirer mieux. Au même instant, elle porta vivement son mouchoir à sa bouche et quand elle l’en retira, il était tout taché de sang.

— Mon Dieu ! ayez pitié de nous, s’écria Mde Bernier. Ce misérable va la tuer !

Marie-Louise essaya de rassurer sa mère par tous les moyens, mais elle ne réussit pas.

— Écoutez, maman, dit-elle, enfin. Je vous assure que j’aimerais mieux mourir que d’épouser Théophile, et si je meurs, mon père ne pourra pas me maudire.

Dans son trouble, Mde Bernier ne songeait pas à appeler personne, ni à faire demander un médecin. À la vérité, elle sentait si bien que c’était le chagrin et les soucis qui tuaient sa fille, qu’elle trouvait inutile de chercher à la soulager autrement qu’en ôtant de son esprit les craintes qui la rendaient si malheureuse.

Cependant se sentant faible et brisée, la jeune fille s’était jetée sur le lit de sa mère.