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LES DEUX TESTAMENTS

de l’action importante qu’elle venait de faire.

Le sentiment de déférence et de soumission que son gendre lui inspirait reprit le dessus, et elle sentit qu’elle ne pourrait supporter sa colère et ses reproches, si jamais il découvrait le testament nouveau.

Elle pensa qu’il valait mieux qu’il n’en sache rien avant sa mort. Comme le grand monarque elle se disait « après moi le déluge ».

Elle pria donc Charles LeCompte qui se disposait à prendre congé, lui aussi, de porter le testament chez le notaire, en retournant chez lui.

Celui-ci prit donc le document et le glissa dans la poche de son habit. Et ayant souhaité le bonjour à la veuve, avec bien des paroles d’encouragement, il la quitta, lui promettant de se rendre tout de suite chez le notaire.

En chemin faisant, comme il se trouvait à passer devant l’hôtel où il logeait, depuis son arrivée à Montréal, il songea à y entrer pour voir si une lettre de chez lui, qu’il attendait avec impatience depuis plusieurs jours, n’était pas arrivée. Un des employés, en le voyant, s’avança vers lui et lui tendit une enveloppe adressée à son nom, mais d’une écriture qui lui était inconnue.

En s’apercevant que c’était un télégramme, il sentit son cœur se serrer.

Il déchira l’enveloppe d’une main tremblante et lut ces mots.

« Venez vite, maman est bien malade ».

C’était tout, mais c’était assez.

Cependant, bien qu’il se sentait chanceler, et qu’il lui semblait que la respiration allait lui manquer, il ne perdit pas son sang-froid, car il était doué d’un caractère ferme et d’une volonté énergique.

Il paya sa note au commis, donna des ordres pour sa valise et se rendit à la gare, où il eut la chance d’arriver quelques minutes avant le départ du train pour New York.

Ce qu’il souffrit d’abord, dans la première partie du trajet, ne peut se décrire.

Les minutes lui semblaient des heures. Le train qui allait cependant à toute vitesse, lui paraissait avancer avec une lenteur désespérante. Et en proie à une inquiétude dévorante et aux plus tristes pressentiments, il lui semblait, par moments, qu’il devenait fou.

Enfin, une espèce de torpeur succéda à cet état nerveux et le reste du voyage lui sembla être un rêve fatiguant.

Quelque chose d’étrange et de mystérieux s’était opéré en lui.