Aller au contenu

Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
LES DEUX TESTAMENTS

malgré lui par cette scène, fut contraint de l’en détacher avec beaucoup de peine.

Cependant, son autorité n’aurait pas suffi pour décider l’orphelin de partir avec lui, si la veuve, elle-même, ne l’eût engagé à suivre son oncle sans résistance, s’il ne voulait pas la faire mourir de chagrin.

Mais quand l’oncle et le neveu furent partis, enfin, et qu’elle se trouva seule dans son appartement, elle se livra sans contrainte à sa douleur.

Il lui semblait que le dernier rayon de soleil qui éclairait sa vie venait de disparaître.

Le veuf et l’orphelin venaient de prendre le train.

Pendant le trajet, le jeune enfant gardait un silence farouche et, loin de diminuer, son chagrin allait toujours en augmentant.

Tant qu’ils avaient été dans Montréal, il n’avait pas senti complètement la réalité de sa séparation avec sa grand’mère, mais après avoir dépassé le pont Victoria, il se sentit encore plus isolé et abandonné, et il lui semblait qu’un abîme infranchissable le séparait de sa demeure, maintenant que le fleuve se trouvait entre Montréal et lui.

Mais le train l’éloignait de plus en plus de tout ce qu’il aimait au monde. Il s’avançait vers l’inconnu, pour lui terrible et menaçant.

Un enfant ordinaire aurait ri de son chagrin et de son effroi. Combien de gamins quittent leurs parents pour aller dans des collèges et des écoles lointaines sans ressentir rien de plus qu’une douleur passagère à l’instant de la séparation. Mais ceux-là savent où ils vont. Ils ont une idée de la vie de pension et de ses amusements ; ils sont encouragés par leurs parents et leurs amis.

Mais le petit Joseph n’avait qu’une idée très imparfaite de l’institution où on le menait.

Pour lui, c’était tout simplement une prison où on allait l’enfermer en punition de sa méchante conduite envers son oncle.

C’était là, l’impression que la description faite par ce dernier lui avait laissée.

Il faut dire que ce pauvre petit était bien ignorant sur bien des choses. Ce n’est pas avec une vieille grand’mère triste et maladive, et qui ne sort jamais, qu’on apprend à connaître les choses du monde.

Il ne savait pas même au juste ce que c’était qu’un frère, car l’école qu’il avait fréquentée depuis un an, était conduite par un maître laïque, très bon homme du reste, bien que peu qualifié pour sa position.