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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/90

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LES DEUX TESTAMENTS

Malgré nos efforts nous ne pûmes rien sauver. Maison, étables granges, tout fut consumé.

Le fermier qui commençait à se sentir vieux n’eut pas le courage de rebâtir ses propriétés. Il vendit sa terre et se retira avec sa femme chez un de ses fils qui demeurait dans le village voisin.

Ils voulurent bien m’emmener avec eux, mais ils ne purent me décider à les suivre, car leur fils qui était jaloux de moi, sans doute, n’avait jamais manqué l’occasion de me dire des insolences. Il m’avait même traité de mendiant, une fois.

Je résolus donc de partir pour les États-Unis pour y tenter fortune.

Mon père adoptif, ne pouvant m’empêcher de partir, me donna cinquante piastres pour mon voyage, en me souhaitant bonne chance, et en me faisant promettre de lui écrire régulièrement. C’est ce que je n’ai jamais manqué de faire.

Je me rendis à Chicago, où j’eus assez de misère à vivre jusques à ce que j’eusse appris l’anglais. Ce qui me prit deux ans. Après cela j’obtins une place de commis dans un gros magasin.

Mon salaire n’était pas énorme, mais j’avais assez pour vivre, en ménageant un peu, et j’avais la perspective de monter en grade, car jetais assez estimé de mon patron.

Mais encore une fois, le feu se chargea de briser mes espérances.

Vous vous rappelez du grand incendie de Chicago en 1872. Le feu détruisit entièrement notre magasin et le propriétaire fut ruiné.

Après avoir chercher vainement une autre place, je me décidai à quitter Chicago.

Ici, Georges Bonneville interrompit le récit de Joe.

— À propos de l’incendie de Chicago, dit-il, j’ai entendu dire, que tu avais sauvé une femme, qui appelait au secours d’une fenêtre au troisième étage, dans une maison où les escaliers étaient déjà brûlés.

Joe rougit comme une jeune fille.

Bon Dieu, que les gens sont bavards ! Ils font toujours des grandes histoires avec rien, dit-il.

Il est vrai que j’ai grimpé sur une échelle pour aller aider une femme à descendre, mais je ne connais pas grand danger en faisant cela. Les pompiers en font bien d’autres.

Je quittai donc Chicago, et je me rendis dans la Nouvelle-Angleterre, où je cherchai ma chance d’une place à l’autre jusques à ce que je finisse par obtenir une assez bonne place dans une manufacture à Haydenville, petit village du Massachusetts.

Je n’y restai que deux ans et ce