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JE SAIS TOUT

sonnet, accepta les roses avec condescendance et énonça quelques doutes :

— Ne nous emballons pas. Je me réjouirai le douze juin, quand Fernand Bigalle sera ici. Jeansonnet a le tort de prendre trop souvent ses désirs pour des réalités. Je ne crois que ce que je vois. Ainsi, j’évite d’amères désillusions. Cela ne m’empêchera pas de lancer nos invitations.

Ils s’y mirent tout de suite. Et Lucien Gélif vint les aider. C’était un très tendre et très malicieux jeune homme. Il appelait M. Jeansonnet « parrain ». Sa présence faillit tout gâter, car il écartait un à un tous les convives proposés par son père et par sa mère : « Les Mazuche ? Vous n’y pensez pas ! Ils demanderont à Bigalle s’il n’a pas donné son nom à la place… Les Mustif ? Le mari conte des anecdotes d’almanach… Les Jazeran ? Mme Jazeran ne manquera pas d’interroger Bigalle sur ses gains de l’année et les inconvénients de la morte-saison !… »

Ils finirent, cependant, par établir une liste de quatorze invités, dont une jolie femme, que l’on placerait à la droite du maître. Après quoi, Mme Gélif déclara :

— Jeansonnet, nous ne vous retenons pas. Alfred et moi, nous déjeunons en ville.

— Eh bien ! moi, s’écria Lucien, j’emmène mon parrain au cabaret ! Ils déjeunèrent dans un restaurant fameux, puis entrèrent dans le cours de danses. M. Jeansonnet admira l’application émue des élèves. Le professeur s’adressa à Lucien :

— Vous allez, lui dit-il, faire danser une nouvelle qui a d’excellentes dispositions, mais qui n’a pas encore assez confiance. La voici. Et, sans se douter qu’il était l’instrument même du destin, il présenta Lucien à une ravissante jeune fille :

— Monsieur Gélif. Mademoiselle Suzanne Carlingue. Ils restèrent quelques secondes interdits en face l’un de l’autre. Le pauvre homme qui jouait du piano, tiraillé entre des « plus vite ! » et des « moins vite ! » qui fusaient de toutes parts, s’était arrêté.

— Suzanne, murmura Lucien, c’est donc vous !…