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SOUVENIRS


— Ta beauté est cause de tout ! me dit-il, ainsi que la passion que tu m’inspires.

Il ajouta une foule d’autres choses, que j’ai oubliées depuis lors. Je le quittai enfin, et me sauvai à toutes jambes, folle de peur, m’estimant trop heureuse d’en être quitte au prix de ma promenade perdue.

Aujourd’hui que plusieurs années se sont écoulées et que de cette vilaine aventure où la polissonnerie de mon cousin tourna à sa confusion, il ne me reste plus qu’un pénible souvenir, je voudrais qu’il me fût permis de revenir sur elle en peu de mots, de dire quelles pensées, quelles sensations elle fit naître dans mon âme de jeune fille. J’y trouverai une sorte de consolation, de réparation. Il faut se rappeler que j’avais alors dix-neuf ans, que si mon âme et ma personne n’étaient pas absolument pures, puisque j’avais subi une sorte de défloraison morale et physique au couvent, j’ignorais encore cependant, et de la façon la plus absolue, en quoi la nature faisait consister la différence des sexes. Pour moi, quoique, dans mon enfance, ma mère, un peu imprévoyante, comme tant d’autres, m’eût fait parfois baigner dans le même bassin où s’ébattaient mes frères, pour moi donc, un homme n’était autre chose qu’une femme aux cheveux courts, barbue, dépourvue de gorge, et qui portait des pantalons au lieu de robes. Mon ignorance, à cet égard,