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Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/128

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SOUVENIRS


qu’une petite dot à lui donner, deux cent mille francs ; et avec sa figure, sa tournure, son élégance, elle découragera les épouseurs. Ils penseront tous, avec raison, qu’elle est faite pour briller dans le monde, y effacer toutes les femmes, et que, n’ayant qu’une très minime fortune, elle devra nécessairement économiser peu celle de son mari. Allez donc proposer une pareille merveille à un modeste employé ! Elle ne manquerait pas de n’en point vouloir, le jugeant trop au-dessous d’elle. Et lui n’oserait même pas se permettre de la regarder. C’est un millionnaire qu’il faut à Aimée, et les millionnaires sont rares.

— Et puis, reprit ma mère, plus un homme apporte de fortune à une femme, en mariage, plus il tient à la réciprocité.

Les pronostics fâcheux qui ressortaient de cette discussion ne jetèrent aucun découragement dans mon esprit. Mon succès, pendant tout l’hiver, ne fit que grandir. Ayant eu le bonheur, en quelques occasions, où l’on me parlait d’autre chose que de la pluie et du beau temps, de montrer que je n’étais pas complètement dépourvue d’intelligence, on me fit la réputation d’une femme d’esprit, et, comme je passais déjà pour l’une des plus belles personnes de la saison, je devins bientôt à la mode.

Chaque homme qui me voyait alors pour la première fois devenait forcément, ne fût-ce que