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D’UNE COCODETTE


conduire. En y réfléchissant à loisir, je ne me sens même point aujourd’hui aussi coupable qu’on le pourrait croire. Combien de femmes j’ai connues, mariées comme moi, mères, qui se sont vues un jour contraintes de se vendre, pour apaiser des créanciers impitoyables, et qui n’eurent même pas l’idée, comme moi, de racheter ce qu’il y avait de rachetable dans leur action, en sauvant leur mari de la ruine, sans qu’il pût soupçonner le moyen employé pour cela, le laissant honnête homme et considéré, et prenant le supplice et la honte pour elles !

Je n’ai donc pas d’amant, et n’en veux plus avoir. Et cependant, singulière contradiction, j’aime à plaire encore.

À qui ? À tous, en général, à personne, en particulier. Je le répète, je n’ai eu, dans toute ma vie, qu’une seule et véritable passion, celle de la toilette. Passion qui n’est point du tout inoffensive, car elle coûte cher. Heureusement que je ne manque pas des moyens nécessaires pour la satisfaire sans me voir obligée de subir encore les manies des hommes : je suis riche.

Je suis veuve. Je n’ai pas d’enfants. J’ai eu le chagrin de perdre ma mère.

Mes frères et sœurs sont mariés. Mon cousin Alfred est allé s’oublier[1] en Amérique.

  1. Variante, ligne 27, au lieu de s’oublier ; lire : s’établir.