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SOUVENIRS

Comme je venais d’avoir seize ans, étant déjà toute formée, propre au mariage, ma mère qui ne se défiait point assez de mes juvéniles curiosités, était en possession d’un amant que je ne pouvais voir, même en peinture, et qui, sans doute, afin de ne pas donner de jalousie à sa belle amie, affectait de montrer pour moi les sentiments les plus hostiles.

M. Gobert, je dois l’avouer, quoiqu’il fût homme du monde et riche, en aucun temps de ma vie, n’aurait été mon fait.

Il affichait une rigidité de principes et une austérité de langage qui me semblait absolument incompatible avec la qualité d’amant d’une femme mariée. Ma mère, pour laquelle il réservait des qualités cachées, le disait aimable ; pour moi, il m’était impossible de reconnaître en lui autre chose qu’un pédant sot et prétentieux. Il avait la manie de faire la leçon à mes sœurs et à moi ; il nous prêchait l’économie, comme si, à nos âges, il nous eût été possible de faire des dépenses ; il avait même l’impudence de m’engager à me vêtir avec simplicité, moi, pauvre et belle fille de seize ans, obligée, par la jalousie de sa mère, à porter des robes abricot, disant effrontément que les plus belles qualités des femmes étaient les qualités du cœur et de l’âme.

C’était à croire, ma parole d’honneur, que ce