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D’UNE COCODETTE


devais sembler à Carmen bien gauche, bien sotte. Mon innocence me gênait.

Toute la classe avait les regards sur moi. On chuchotait, on se poussait le coude.

Les larmes me montaient aux yeux.

Je finis par me lever de ma place et me sauver dans le préau, terrifiée qu’il y eût tant de témoins de ma honte. Si j’avais su, alors ! Toutes celles dont les regards me semblaient autant de poignants reproches avaient passé par les mains de Carmen avant moi.

C’est ainsi que je perdis la première fleur de mon innocence, et que le tranquille tempérament que j’avais reçu de la nature, en venant au monde, me révéla, pour la première fois, qui fut presque la seule dans toute ma vie, les mystères de ma condition de femme.

Heureusement pour moi, je n’avais pas, je ne ressentis jamais les dévorantes passions qui sont pourtant, assure-t-on, comme la marque indélébile des races méridionales. Si je n’avais été si calme, je n’ose dire « si sage », j’aurais sans doute été victime de grands maux. La jolie et vicieuse petite Carmen, à ce que j’appris plus tard, mourut à seize ans, idiote et rachitique.

Qui l’aurait cru, en la voyant !

Je succombai encore, de loin en loin, m’abandonnant au vice mignon qui moissonne dans leur fleur tant de jeunes filles ; mais je dois

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