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MERLIN L’ENCHANTEUR.

main un peu d’eau qu’il versait sur la tête du géant pour le baptiser. Merlin voyait tout du rivage, il était rempli lui-même d’une émotion extraordinaire. Tremblant, respirant à peine, il tomba à genoux quand le géant déposa l’enfant sur la rive verdoyante. C’est ce que l’on a appelé la conversion de Merlin ; il avait été attendri, étonné, stupéfait, on le crut convaincu ; il finit par se figurer qu’il l’était pour toujours.

À mesure que les peuples arrivaient du fond de leurs forêts, l’un après l’autre, tout blancs de frimas, tout hérissés de glaçons, Merlin imitait ce qu’il venait de voir. Il se baissait et remplissait le creux de sa main d’un peu d’eau. Après quoi, il la versait sur la tête des nations, qui le regardaient d’un air sauvage, ne sachant si elles voulaient lui sourire ou le mettre en pièces ; pour lui, il n’en avait aucune peur.

Au contraire, il couvrit leurs épaules nues de quelques peaux d’ours qu’il avait apportées ; il mit à leurs pieds ses propres chaussures, neuves encore ; il les réconforta de quelques cordiaux et d’un peu de cervoise ; il leur passa au cou le collier d’ambre qu’il tenait d’Isaline, et même il voulait leur préparer quelques huttes de feuilles, tant les nuits étaient froides.

« Non, Merlin, lui dirent les nations barbares, d’un air farouche ; abritons d’abord le Dieu qui nous amène ici.

— C’est vérité, dit Merlin, confus de recevoir de ces gens demi nus cette grande leçon. »

Alors, vivant dans les clairières, ne songeant que