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MERLIN L’ENCHANTEUR.

plir son vœu, et même elle voulut lui ménager jusqu’au bout la surprise ; ce qu’elle fit avec beaucoup d’adresse, prétextant la nécessité de se rendre en pèlerins à l’île sacrée d’Avalon. Il suffirait de gagner à petites journées un port nommé la Baie des Trépassés. De là, les occasions étaient fréquentes.

Point de retards. On s’embarque. Les voyez-vous déjà loin du rivage ? Pour moi, je vois distinctement et la barque d’assez médiocre apparence, et le mât et les passagers, et l’endroit même où blanchit un flocon d’écume. Mais que peut signifier cela ? il n’y a ni voile ni aviron, ni banderole ni gouvernail.

Les bateliers ne disent mot :

« Sont-ils muets ?

— Ils sont morts ! » a répondu Viviane.

La mer devient noire, elle jette au loin ses longs ricanements.

Les passagers aussi sont muets, et, quoique nombreux, la barque semble vide, tant elle effleure légèrement la surface de l’eau, où elle ne laisse aucun sillage. Une orfraie, à l’envergure énorme, plane sur les voyageurs comme sur sa pâture. La foudre est moins prompte à se précipiter des nues. Merlin se baisse et se relève. Effaré d’avoir trouvé un vivant là où il cherchait un mort, l’oiseau de proie frôle de l’aile l’enchanteur, jette un cri, perd une plume, disparaît au bout de l’horizon. Tous sont restés immobiles. La traversée a duré un jour. Personne n’a crié : Terre ! On aborde près de la caverne de Saint-Patrice. Précédé de Viviane,