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LIVRE III.

« Les moindres ténèbres te sont connues mieux qu’à moi ; tu as donc déjà habité ces lieux ? disait Virgile.

— Jamais ! » répondait Merlin, et il continuait d’étonner son guide par sa connaissance précise du plus petit abîme. Combien, au reste, ses explications étaient différentes de celles qui furent données plus tard ! À chaque supplice qu’il rencontrait :

« J’imagine, disait-il, un plus grand supplice !

— Quel est-il ?

— De chercher Viviane et de ne plus la trouver.

— Prends garde, frère, d’évoquer ton supplice. Chacun, ici, se crée et se forge le sien. »

Et comme Merlin et Viviane se tenaient par la main en marchant, leur joie était si profonde, que l’enfer même en fut ému et ébranlé. Il ne put anéantir leur félicité. Au contraire, elle se réfléchissait autour d’eux. En voyant passer ces âmes heureuses, les damnés se sentaient apaisés ; ils disaient : « Ô âmes bénies ! quelle est donc votre félicité, puisqu’elle se répand sur nous ! Voilà donc à la fin un moment sans douleur ? C’est le premier depuis que nous habitons ce séjour ! »

Merlin s’arrêta, il dit :

« Qui que vous soyez, de si grands maux auront un terme.

— Que dites-vous ? reprirent les âmes torturées. Quoi ! il pourrait y avoir un terme à la malédiction ? Jamais parole semblable n’a été prononcée dans ces abîmes.