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LIVRE V.

gravement ; le dernier surtout plie sous le fardeau de sa couronne. »

En entendant ces mots, comme un chasseur démusèle sa meute, l’âme altière déchaîna la foule, qui se mit à hurler sous sa parole de flamme :

« Ils sont ici, criait-il, courez, avancez, rugissez ! Ne lâchez pas la proie ! »

Et la meute passait, gueule béante, sur l’herbe desséchée.

« Pourquoi les presses-tu ainsi, dès les limbes, si vite qu’ils ont perdu haleine ? Tu voudras après cela les retenir, de peur qu’ils ne t’échappent, et tu ne trouveras plus le frein ; car toi-même, tu l’as brisé. Pour eux, ils seront si haletants, que la force leur manquera avec le souffle, quand ils arriveront sous le soleil. Au lieu de poursuivre leur chemin dans la gloire, ils se coucheront, la langue altérée, sous le pied du méchant.

— Je sais déjà, répondit l’âme altière, ce que vaut leur amour et comme il se change en haine. Depuis que je les promène dans ces vides royaumes, j’ai appris à les conduire où il me plaît. Fie-toi à ma parole du soin de les régir. En voyant comme ils sont vains, et qu’ils pèsent si peu, j’apprends ici d’avance à les mépriser tous. C’est là ma couronne.

— Tu as les pieds dans l’enfer, toi qui parles dans la nue, repartit le prophète. Regarde tes mains ! comme l’or les a salies ! Pourquoi sont-elles sordides quand ton cœur est si haut ? Si je pouvais ici les laver de mes lar-