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LIVRE VI.

ceau que toi, apprends-moi où vont ces larves ébauchées comme moi, ces ombres, ces personnes muettes qui jamais ne reviennent et dont le nombre ne diminue jamais. Quelle demeure est assez grande pour les recevoir toutes ? Vois comme elles marchent en silence, insouciantes et la tête inclinée sans regarder en arrière. Quelle main les pousse ! quelle main les attire ? D’où viennent-elles si confiantes et pourtant si timides ? Comment, si faibles, vont-elles par ce rude chemin ?

— C’est toi, René, qui leur servira de guide.

— Ô maître ! comment serai-je leur guide, si moi-même je reste égaré comme elles, à travers les choses vaines ? Quelle est la voie la meilleure ? En quel endroit la lumière se sépare-t-elle des ténèbres ? Où finit le songe ? où commence la veille ? Je ne saurais marcher comme ils font tous, autour de moi, en prenant la nuit pour conseil. »

En l’entendant parler ainsi, le prophète prit pitié de cet esprit immortel ; il le conduisit par la main, comme le guide conduit l’aveugle, en lui faisant toucher l’un après l’autre chaque objet autour de lui. Il lui enseignait ainsi à distinguer les folles lueurs des limbes, les vaines lucioles errantes d’avec la flamme qui jaillit intérieurement du plus petit esprit. Quand il le vit rassuré, il lui donna un fil qu’il eut soin d’attacher à l’une des racines qui pénètrent au centre de la terre.

« Ne crains pas qu’il se rompe, lui dit-il, je l’ai tissu moi-même ; il te guidera aisément, toi et tes compagnons à travers le labyrinthe des choses éternelles. »