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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Croirait-on que Merlin, à ces paroles, eut un moment la pensée de conseiller à sa mère de s’immoler pour un si grand banni ? Grâce à Dieu ! il n’en fit rien. Mais son cœur fut ébranlé par ce qu’il venait d’entendre. Il ne pouvait s’empêcher de trouver quelque noblesse dans ce langage.

« Allons ! ajouta l’incube, puisque votre heure n’est pas venue, je lâche encore ma proie, quoique j’eusse le droit de m’en saisir. Songe, Merlin, à ton père ; toi, Séraphine, n’oublie pas au moins de qui tu es l’épousée ! »

À ces paroles, l’incube se plonge dans son noir royaume. Merlin, Séraphine, Viviane, repassent en silence le triste seuil et revoient la lumière. Séraphine rentra incontinent dans son abbaye, dont elle mura une seconde fois la porte. Viviane ne quittait pas Merlin. Merlin n’avait pas trouvé son père si odieux qu’il se l’était représenté.

« Après tout, se disait-il à lui-même, il est mon père ! Et qui sait s’il n’y a pas eu aussi, à l’origine, quelque tort de l’autre côté ? »

Ainsi fut évité, ce jour-là, le combat entre le père et le fils. Mais la lutte ouverte, pour avoir été retardée, ne pouvait manquer d’éclater plus tard.