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MERLIN L’ENCHANTEUR.

te consumera. Splendide midi, ne le hâte pas vers le soir pâlissant ; et toi, soir constellé, ne te précipite pas vers la nuit ténébreuse !

Ombres géantes, ne grandissez pas davantage au pied des monts sereins ! Vous tous, esprits, âmes des choses, ne franchissez pas cette heure d’azur.

Ils avaient retrouvé l’Éden de nos premiers parents, ils avaient ramené le paradis sur la terre. Les yeux attachés l’un sur l’autre, ils buvaient pendant des heures intarissables un philtre invisible, qui descendait des nues. Ils aimaient tout ce qu’ils voyaient, car chaque chose, chaque être était rempli de leur amour. Ils durent penser que l’éternité bienheureuse avait commencé pour eux.

Rien ne les avertissait de la succession des heures et des moments. Chaque instant semblait être le premier où ils se fussent rencontrés ; en même temps ils avaient le sentiment de s’être aimés toujours. Comment cela se pouvait-il ? Je sais seulement que cela fut ainsi.

Oubliez que j’ai comparé leur bonheur à celui de nos premiers parents ! Mes héros furent plus heureux que les habitants d’Éden. Car Adam et Ève avaient perpétuellement un tiers entre eux, un hôte divin qui les tenait dans un respect voisin de la crainte. Quelquefois même le serpent enroulé et sifflant autour de l’arbre glaçait soudainement leurs regards et leurs voix. Leur amour était plus cosmogonique, plus religieux que celui de Merlin et de Viviane ; mais assurément il fut moins passionné.