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MERLIN L’ENCHANTEUR.

la félicité passée dans le premier saisissement d’une douleur infinie ; car il a arrêté ses yeux sur elle, et il a rencontré un de ces regards d’airain qui glacent les mots au fond du cœur.

Sans doute il eût dû se précipiter à ses pieds, les arroser de larmes ; mais ses yeux étaient secs. Peut-être la douleur avait-elle tari son cœur ordinairement si ouvert, si expansif ; peut-être l’indignation l’avait-elle endurci pour une seconde. Peut-être aussi l’orgueil, ce serpent qui se plaît dans nos ruines, se dressa-t-il, à ce moment, dans son âme. À travers les paroles confuses, désordonnées, qui se pressaient sur ses lèvres, sans pouvoir éclater, il a le malheur de répondre :

« Oui, je partirai ! »

Il eut tort mille fois. Mais ce n’était encore là qu’un jeu d’enfant, une extravagance comme les meilleurs en commettent souvent, une parole qu’il pouvait effacer aussitôt par une autre parole. Il n’eût fallu qu’une larme, un serrement de main convulsif. Mais il s’obstina dans cette parole, uniquement parce qu’il l’avait prononcée et qu’il n’eut pas la force de la rejeter pendant qu’elle était encore à demi formée sur ses lèvres.

Puis le regard de plus en plus inflexible de Viviane acheva de le perdre. Il se jette sur sa douleur comme un homme se jette sur son épée et s’en perce la poitrine, sans pouvoir l’en arracher. Plus Viviane montre de résolution et de froideur, plus Merlin montre d’emportement.

À la fin, il sort presque égaré, il descend les degrés