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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Mais l’ingénuité de Jacques ne lui déplaisait pas, et ils se sentaient irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Longtemps avant que le jour eût paru, Jacques avait roulé dans son esprit une pensée qu’il n’osait avouer. Il finit néanmoins par la dire en voyant la bonté, la simplicité de Merlin que le désespoir même n’avait pu changer.

« Ah ! murmura Jacques en croisant ses deux mains, si monseigneur Merlin voulait me dire la bonne aventure !

— Je le veux bien, » répondit Merlin, et il prend aussitôt dans sa main celle de Jacques Bonhomme.

C’était une main large, osseuse, rutilante, faite pour manier et assouplir le fer. Après l’avoir considérée attentivement, l’enchanteur parla ainsi avec complaisance :

« La première chose qui m’apparaît dans ces lignes c’est, Jacques Bonhomme, que tu auras une nombreuse postérité.

— Oui-da !

— Plus nombreuse que celle d’Abraham.

— Et la seconde chose ? reprit Jacques.

— La seconde, c’est que tu seras souvent dupe.

— Mais non pas toujours ?

— Attends, mon fils ! Non pas toujours, mais souvent et longtemps, répéta Merlin en appuyant gravement sur chaque syllabe. Tu changeras fréquemment de maître.

— Serai-je quelquefois le mien ?

— Rarement. »

La large face de Jacques Bonhomme s’assombrit.