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LIVRE VIII.

nouveau, qui arrivait plein d’espérances, toutes voiles dehors, gonflées, vent arrière, ils vendaient ce peuple au plus offrant. Ils s’en partageaient le prix.

« Que vois-je, Robin-Hood, s’écria Merlin, la première fois qu’il se présenta à ce marché. On vend ici l’espèce humaine ! ô mon ami ! quel trafic ! Le saviez-vous ? dites, parlez. »

Ne sachant que répondre, Robin-Hood se mit à chanter entre ses dents, selon sa coutume.

Cette découverte ajouta une tristesse presque infinie à celle que Merlin ressentait. Il s’assit au bord de la Tamise sur la grosse pierre que j’ai vue moi-même à Westminster ; et, songeant à ce premier mécompte, il fit de vains efforts pour échapper au désenchantement et à l’ennui, si bien que le spleen le gagna. Plus il avait espéré de ces peuples d’Albion, pour la liberté des autres, plus il se désolait d’avoir été si indignement trompé.

Certes, il eût pu retirer d’un seul coup tous ses dons à des hommes qui en faisaient un si mauvais usage. Cette pensée lui vint d’abord ; il allait l’exécuter, lorsqu’il réfléchit qu’il était peut-être indigne d’un enchanteur de reprendre ce qu’il avait donné une fois.

Alors, il se sentit vraiment seul ; et il eut horreur, de son isolement. Les facultés qui lui restaient ne lui servaient qu’à sonder sa misère profonde. Il se sentait puissant comme un dieu, impuissant comme un ver de terre. Il eût voulu mourir. Tout ce jour-là il pleura et encore le lendemain. Rien ne pouvait le consoler de cette première vue de l’iniquité.