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MERLIN L’ENCHANTEUR.

tirer de plus beaux chants. Si vous crevez les yeux aux bardes, qu’avez-vous besoin de poëtes ? Craignez qu’il n’en naisse plus parmi vous ? »

Ces discours firent réfléchir les peuples, qui promirent de se réformer au moins sur ce point, mais ils n’ont pas tenu parole.

Le surlendemain, l’enchanteur et son compagnon traversaient en Brabant une petite vallée couverte d’épis de blé et abritée du vent du nord par la forêt de Soignes. Fatigués de la route, ils se couchèrent dans un sillon et s’endormirent.

En s’éveillant, Merlin dit à Jacques :

« N’as-tu rien entendu pendant notre sommeil ? Il me semble, mon ami, que de terribles chariots de guerre ont passé par là et que la terre est rouge de sang.

— Je n’ai rien entendu, rien vu, dit Jacques.

— Il faut donc, repartit Merlin, que j’aie eu la tête pesante de l’ardeur du soleil et que j’aie fait un furieux rêve. Non, jamais le bélier de Cornouailles heurtant le sanglier des Gaules, jamais le puissant Arthus aux prises avec l’odieux Saxon, ne firent un tumulte semblable. Figure-toi que j’ai vu deux formidables armées se heurter, se briser dans les sillons à cette place où nous sommes couchés ; et là-bas, sur cette butte de sable rouge, où tu vois distinctement un champ de trèfle, un fantôme immobile, à cheval, que j’ai pris à cette distance pour le roi découronné des tempêtes, s’est abîmé avec fracas.

— Et à qui est resté la victoire ? dit Jacques.