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MERLIN L’ENCHANTEUR.

sauvages. Nul ne fuyait, chacun était frappé à sa place de bataille. Les blessés se traînaient sur le ventre jusqu’au fleuve. Pendant qu’ils étanchaient leur soif, ils étaient égorgés par les nains, qui se trouvaient en nombre à peu près égal dans les deux camps. La mort allait se hâtant partout, sur son blanc palefroi.

Merlin ne put résister plus longtemps au spectacle de tant d’horreur.

« Quand le sang coule par torrents, s’écria-t-il, je ne vois que le sang. »

Il n’avait pas achevé ces paroles, que la belle Brunhild passa sur son char attelé de cygnes. Les cheveux épars, elle chantait dans la tempête un chant de mort, et elle versait un jaune hydromel à ceux qui avaient soif.

Aussitôt Merlin :

« Toi qui es si belle, ne les enivre pas de ton chant de carnage. »

Mais elle s’éloigna sans vouloir rien entendre. Les cygnes, le col tendu, sifflèrent comme des couleuvres, et le vautour leur répondit :

« Chevauchez, rois, vos peuples sont à nous ! »

Cependant, le moment était venu où les plus furieux étaient las de tuer. Merlin saisit ce moment avec une admirable présence d’esprit. Au risque d’être percé de mille coups, il va se placer entre les deux peuples, et fait signe qu’il veut parler.

Cet homme isolé, sans armes (il avait jeté son épée dans le Rhin), l’attitude, le geste, tout frappa d’étonne-