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MERLIN L’ENCHANTEUR.

m’ont perdu, je voudrais t’en prémunir. Jeune, j’étais, comme toi, très-modeste. Les hommes m’ont pris au mot ; de ce que j’étais modeste, ils ont conclu que j’avais mes raisons pour l’être, et bientôt j’ai perdu pour les assister la moitié de mon autorité. Ils m’ont quitté pour suivre les orgueilleux qui les ont foulés aux pieds. Ne m’imite pas !

« J’ai eu un autre travers. Longtemps j’ai cru que la vérité, une fois exprimée, resplendissait par elle-même. Je pensais alors que sa clarté perçait toute seule les ténèbres. Aussi, à peine avais-je trouvé une vérité, j’en poursuivais une autre. Dans cette course infatigable vers la lumière, je croyais que le monde me suivait tout haletant. Que mon exemple te serve ! On dit votre génération plus sourde même que la nôtre. Quand tu auras publié une vérité, répète-la ; quand tu l’auras répétée, redis-la encore ; tu apprendras à ton tour combien la tête des hommes est plus rebelle que leur cœur. Il nous est cent fois plus facile, à nous autres enchanteurs, de changer en un clin d’œil la terre et les cieux que de faire entrer une idée nouvelle dans ces durs cerveaux de pierre.

« Toutes les fois que le droit, la justice se montrent, les hommes repoussent cette éblouissante lumière comme une flèche empoisonnée. Que de jours, que d’années, que de siècles, avant que leurs yeux s’apprivoisent à la splendeur du juste ! Alors ils se mettent à bénir ce qu’ils ont maudit, à maudire ce qu’ils oui béni ; mais il est toujours trop tard !

« Encore un avis, ô mon fils, ! Les hommes sont per-