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MERLIN L’ENCHANTEUR.

ques gouttes de ton outre de vin de Provence, car le récit altère. »

Après avoir bu modérément, il reprit :

« Jamais l’idée de m’échapper du milieu de ces barbares et de revoir mon pays ne s’était encore présentée à mon esprit, tant elle me semblait difficile à exécuter ; pourtant, dès que je vins à y penser, elle me sembla la chose la plus facile du monde.

« Mon habit de chapelain cachait mon haubert. Je m’accommodai le soir du meilleur cheval qui se trouva à la cour de Dietrich. J’y joignis les armes que vous voyez, épée, arc, flèches, et je partis à la nuit tombante. Tout dormait, selon l’habitude des barbares. Il vous suffira de savoir que je marchai ainsi chaque nuit ; le jour je m’abritais dans quelque grotte ou niche d’ermite.

« Que de fleuves je traversai sur une outre de cuir, sans parler du Danube et du Dniéper ! Que de forêts je parcourus, où les aigles étaient perchés plus pressés que les moucherons ! Des bergers de Moldavie me cachèrent les premiers dans leurs huttes au pied des Carpathes. En récompense, je leur appris le latin en gardant avec eux les troupeaux.

« Ils avaient pour reine une belle des bois, nommée Dokia, au cœur dur et glacé, qui se moquait de mes récits. On la trouva un matin, sur la plus haute cime des Carpathes, changée en rocher, elle et son troupeau de moutons. La source des fleuves les abreuve éternellement sans pouvoir les désaltérer. »