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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Puis, se détournant vers les monts Bernois, il gravit, le premier, les pics vierges, cherchant des yeux, au loin, la blanche demeure de Viviane, partout frayant le sentier aux nations engourdies, partout cueillant des simples pour les peuples infirmes. Il passa la Furca, descendit la Reuss, perça le trou d’Urseren, franchit d’un saut le pont du Diable, enchanta le Grutli, reçut dans le pré le serment des trois jureurs ; de là il monta au Righi, escalada le Titlis, s’abreuva aux cascades du Hazli, hiverna dans la tour de Resti, s’égara dans une Alpe de Linthal ; et, durant ces longs jours, pas une heure perdue, pas un sentier qu’il n’ait tracé sur le bord des abîmes, pas un chalet où il n’ait fait entrer avec lui la liberté, la concorde, au moins de sages avis. Tout chasseur de chamois marche encore sur ses traces.

Le moindre de ses travaux, dans un vieux canton d’Uri, fut l’arbalète qu’il tailla de bois d’érable. Quatre fois il l’essaya, debout les pieds dans la neige, sur le sommet du Titlis. De la première flèche, il atteignit l’ours noir à Morgarten, de la seconde à Sempach, de la troisième à Granson, de la quatrième à Morat, et dix fois plus loin encore, par delà les vastes cimes. Enfin, trouvant l’arbalète à son gré, forte, noueuse, tendue d’un fil d’airain, il en fit don à un enfant nommé Tell, qu’il rencontra gardant les chèvres, chantant un ranz des vaches sur le chemin étroit d’Altorf à Glaris.