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MERLIN L’ENCHANTEUR.

même ils l’essayèrent. Mais la tour était trop haute. Ils s’en consolèrent, pensant que le lendemain, ils le verraient brûler, ou démembrer, ou crucifier. Parmi ceux-là Merlin distingua quelques-uns de ceux qu’il avait le plus favorisés, Raoul de Cambrai, Yvain d’Avallon, le pieux Titurel. Fantasus aussi était parmi eux. Mais la curiosité semblait le pousser plus encore que la ferveur du reniement.

Dans le reste du monde, il n’y avait pas une nation, une créature d’où ne lui vint une injure, une flèche empoisonnée. Des forêts d’épées nues, à deux tranchants, marchaient contre lui. Parmi ces épées, il reconnut celles qu’il avait fourbies lui-même. Celle de France était la plus longue. Elle passa à travers les barreaux et il se sentit navré. Ah ! combien Durandale, Joyeuse et Haute-Claire frémirent de se voir tournées contre celui qui les avait forgées ! À cette vue Merlin ferma les yeux et pensa mourir. Ils crurent que c’était de peur. Ce fut le signal du plus grand reniement.

Quelques-uns, en effet, avaient apporté avec eux la coupe du saint Graal qu’il leur avait donnée, à demi-pleine encore de la sueur et du sang du Calvaire. Ils la remplirent de poison et l’approchèrent de ses lèvres ; puis, comme il détournait la tête, ils la lui jetèrent à la face, si bien que le sang du Seigneur fut encore une fois épanché sur la terre. Elle le but avidement. L’herbe aussi le but et se flétrit au loin. L’hysope commença à croître sur le Janicule et le Palatin comme sur le Golgotha.