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MERLIN L’ENCHANTEUR.

quels eût pu s’abuser un esprit moins avisé que le sien.

Le soir, Merlin rentra la tête basse, tout pensif. Il savait que c’étaient là des songes, des fantômes ; il se promettait bien de ne pas leur donner de crédit ; et pourtant, malgré lui, il avait l’esprit plein à la fois de délices et d’un vague effroi. Il ressemblait à une harpe éolienne dont une corde a été effleurée par un génie. Elle résonne longtemps après que l’instrument a été replongé dans son étui sombre, sous une double serrure.

Ne pouvant dormir, il réfléchit longtemps sur sa fortune : deux triades ébauchées, quelques vagues prophéties, beaucoup de rêves, c’était là tout son avoir. Quelle fiancée s’en contenterait ? Il savait combien dans ce pays les jeunes filles prisaient haut la richesse, non pour l’or seulement, mais pour le brillant. Et les parents ? C’était bien pis encore. Qui voudrait lui donner sa fille ? S’il n’épousait quelque fée ou dame des bois, il était donc condamné d’avance au célibat presque éternel des hommes de son art ? Cette pensée le navrait.

La nuit se passa dans ces réflexions. Le jour l’y surprit encore, un jour triste, brumeux, grisâtre, mais qui pouvait encore devenir radieux, si un souffle d’air dispersait les nuées déjà traversées çà et là de nimbes d’opale et de pourpre.