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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Quoi ! même l’éloge des mines est défendu ?

— Oui, si cet éloge est fait d’un certain ton. Nous craignons à l’excès ce qui peut rappeler la vie. Nous nous trouvons si bien d’en avoir perdu l’habitude !

— Avez-vous quelque philosophie ? reprit Merlin.

— Sans doute, répliqua le bibliothécaire en lui présentant un rouleau de papyrus fort rongé des vers. Nous avons une philosophie nationale. Nous l’appelons sophistique. Elle renaît d’âge en âge sans s’épuiser jamais.

— Et votre critique ?

— Très-riche. C’est là que nous brillons. Nous nous moquons de tout ce qui ne nous amuse pas. »

Merlin ouvrit quelques volumes et s’aperçut qu’ils étaient effacés depuis la première ligne jusqu’à la dernière :

« Est-ce ainsi des autres ?

— De tous.

— L’étrange littérature que voilà, biffée, effacée de générations en générations ! »

À quoi le bibliothécaire, d’un ton rassis :

« J’ai entendu dire par nos plus grands esprits que c’est là leur supplice. Quand ils ont trouvé quelque vérité capitale, hardie, telle que : deux et deux font quatre, arrive une autre génération qui efface proprement, à l’encre de Chine, ce qu’ils ont fait, et cela se trouve effacé des intelligences même. Tout alors est à recommencer et ainsi la matière ne manque jamais aux beaux ouvrages. Car il faut de nouveau s’ingénier, com-