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LIVRE II.

yeux rencontrassent Viviane. De son côté, elle ne pouvait le perdre de vue, sans craindre de mourir. À mesure qu’ils cheminaient tous deux, la terre desséchée se couvrait de verdure. On eût dit que les mondes naissaient sous leurs pas.

Un jour (moment immortel !), au lever du soleil, ils arrivèrent au bord d’un fleuve aux eaux tranquilles, verdâtres, qui serpentait dans un lit embarrassé d’herbes et de joncs, à travers une forêt de chênes, de bouleaux et de hêtres. Les deux rives étaient couvertes d’ombre et de mystère ; le lieu paraissait inhabité, hormis par des hérons immobiles sur la lisière des marécages et par quelques pics-verts qui, debout contre le tronc des vieux chênes, attendaient qu’une voix d’oracle sortît de la moelle des arbres centenaires.

Celui qui a perdu son chemin dans les forêts d’Amérique, celui-là a rencontré des solitudes aussi profondes, sans pouvoir dire si elles resteront le domaine des bêtes sauvages ou si c’est là le berceau d’un peuple naissant. Ce lieu abritera-t-il un nid d’oiseau, d’insecte, une fourmilière ou un empire ? Qui le sait ? Toute la sagesse humaine ne pourrait décider encore entre l’empire et la fourmi.

Au milieu du fleuve, nos voyageurs aperçoivent une île boisée, plantureuse, bordée de peupliers qui perçaient un épais brouillard ; elle avait la forme allongée d’une barque dont la proue fend le cours de l’eau. Ils n’y entendirent, en s’approchant, aucun bruit, si ce n’est le gloussement d’une poule et les cris d’une volée de