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LIVRE II.

haine, par la dérision, par l’injure, par la calomnie, par le blasphème, par l’épée, par la mort. Tu iras un peu plus loin, plein de colère, me creuser de tes ongles un autre abîme ; je m’y laisserai complaisamment engloutir, sans peur, car je me rirai de ton impuissance à m’y tenir enfermé ; j’en sortirai presque aussitôt pour te railler.

« Pourquoi n’oserais-je plus sourire ? J’ai éprouvé mon cœur dans les ténèbres. Je l’ai senti comme une armure fidèle que la rouille n’entame pas.

« Ceux qui m’aimaient m’aiment encore. Je n’ai point connu la trahison, ou du moins elle est venue de ceux qui ne pouvaient m’offenser.

« Quand la mer de servitude a monté et a couvert la terre, j’ai retrouvé le chemin des pensées sereines. Je me suis assis sur un pic escarpé avec le compagnon de ma vie éternelle ; j’ai refoulé du pied l’Océan vomi par l’enfer.

« Le vautour appelait ses petits et tous les oiseaux du ciel. Il leur disait : « C’est aujourd’hui que vous faites votre pâture du cœur de l’homme libre et de la chair des peuples innocents. » Et il effleurait de son aile livide le front pâle des nations. Je l’ai renvoyé avec un cri dans son repaire ; depuis ce moment l’épouvante a disparu du cœur des hommes. La terre, veuve du ciel, a repris sa guirlande d’épousée. »

Ici Merlin s’arrêta et il prêta de nouveau l’oreille ; mais sa voix ne trouva pas un seul écho. Elle passait sur la face des nations comme sur des ossements desséchés.