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LIVRE II.

pour une goutte de poison. Un mot tombé par hasard d’une bouche folâtre creusait son cœur, tout un jour, comme la goutte d’eau joyeuse va creuser le rocher.

Il savait mille histoires qu’il croyait charmantes, mille confidences des ruisseaux aux cailloux du rivage, mille secrets ingénus des fleurs, des pierreries, des elfes, des étoiles même ; et ces histoires, à son grand étonnement, n’intéressaient en rien les plus belles des belles, auxquelles il les racontait de préférence. Quelle humiliation de voir la moindre anecdote du moindre passant, préférée cent fois à tous les secrets étincelants des étoiles errantes, qu’il savait pourtant si bien ! Ce fut son premier mécompte.

Une chose l’étonnait plus encore ; les jeunes filles se moquaient et riaient à gorge déployée de ses enchantements dès qu’il avait tourné le dos. « Cela lui sembla, non sans raison, une grande ingratitude. Car enfin, se disait-il, elles en ont profité. D’où leur vient, je vous prie, si ce n’est de Merlin, ce je ne sais quoi plus puissant que la ceinture de l’ancienne déesse ? Elles n’ont pas son profil grec, et nonobstant elles ont l’humeur, le goût, le gai savoir attique. Qui le leur a enseigné ? Les voilà à peine sorties des bois, n’ayant que deux ou trois habits au plus, et déjà elles semblent reines entre les reines. Qui leur a appris, si ce n’est moi, la puissance d’un ruban, d’un chiffon, d’une fleur aux cheveux, la magie d’un regard, d’un mot à demi prononcé, d’une lèvre entr’ouverte, moins que cela, d’un silence ? Je leur ai tout appris et c’est pour me railler. »