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LIVRE II.

laideur même, ne mêlant jamais le saint au profane. Même elle se moquait des Triades. C’était un tort, je le sais ; encore une fois, c’était celui de son époque, non de sa personne. Ne demandons pas à son temps les vertus du nôtre ; respectons au moins la couleur historique.

Avec tant de différences et si peu de ressemblances, comment Merlin et Isaline ont-ils pu s’entendre un seul jour ? Tous deux étaient jeunes, tous deux avaient de la grâce. Voilà, je pense, le premier lien qui a pu les rapprocher.

Sans doute Merlin ne croyait que jouer ou du moins se distraire de ses sublimes travaux ; il ne savait pas que la conversation peut être à la fois un art, un jeu, un drame et un combat. Il se sentait caressé, moqué, admiré, bravé, déchiré, guéri au même moment. Il n’avait pas, ai-je dit, la moindre idée de cet art de jouer avec les cordes du cœur sans les briser ; il en fut d’abord amusé, puis ébloui, puis étourdi.

Quelquefois il éprouvait une angoisse cuisante, comme si tous ses beaux palais d’azur allaient se dissiper au premier souffle de cette bouche rieuse ; et il restait suspendu à ce sourire, entre la vie et la mort. Tous ses royaumes féeriques étaient alors à la merci d’une parole moqueuse qui pouvait tomber à l’improviste des lèvres d’Isaline comme une goutte de pluie sur une bulle de savon. Cette angoisse, où toute sa vie était en jeu, était pourtant pleine d’indicibles délices.

Merlin, l’enfant des légendes, savait bien ce que l’on peut faire par l’enthousiasme, le génie, l’inspiration