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LIVRE XIII.

char de lumière, qu’il est de la maison des dieux, qu’il possède un temple, il est vrai fort ruiné, sur le Lycée, et mille autres extravagances de ce genre que je suis obligée d’entendre de sang-froid pour ne pas offenser ma marraine qui l’estime beaucoup et se laisse aisément tromper par ce clinquant. D’une voix chevrotante, il chante à table de vieilles chansons aux dieux, sans rimes, et se dit nonobstant le roi des hymnes. Je le crois parfaitement fou. Je suis sûre que son temple prétendu est quelque hideux nid à chouettes sur le mont Lycée. C’est de quoi, Merlin, tu ferais bien de t’informer le jour où tu passeras par là. À l’entendre, ses parents seraient au moins des dieux. Il serait bien à toi de rabattre sa fatuité vraiment olympienne : c’est tout ce qu’il a des immortels.

S’il te voit quelque part, il te proposera, selon sa coutume, de disputer avec toi le prix du chant. Accepte, ô mon maître ! Sans hésiter, oppose ta harpe nerveuse à sa vieille lyre ; montre-lui quelle différence il y a entre un barde inspiré tel que toi et un froid cytharède comme lui. Tout l’univers te saura gré de lui ôter sa couronne fanée.

Tel que je viens de te le dépeindre trait pour trait, tout serait au mieux si ce beau cavalier n’avait eu ce matin l’audace de me demander en mariage, persuadé, sur sa bonne mine, qu’une pauvre fileuse, comme il m’appelle dans sa mauvaise humeur, serait trop heureuse d’une déclaration semblable. Je n’ai pu m’empêcher de lui rire au nez.