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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Le venin n’est pas seulement dans l’air : il est dans un élément plus subtil, dans le sourire qu’on rencontre, dans la parole qu’on entend ; il est dans le silence même. D’âme à âme, il circule sans la contagion des corps. Il vous atteint dans les lieux hauts comme dans les lieux bas. Il vole avec le regard ; la chanson et le rire le prennent sur leurs ailes, les langues le distillent, les mots le dardent, les phrases le colportent dans les nues, la solitude le nourrit, le monde l’entretient, le vide le gonfle et l’exaspère. Où fuir ? Le bubon est dans le cœur.

Et le remède où est-il ? Merlin apporte-t-il le simple qui peut seul guérir la plaie ? Personne n’en sait rien et ne se soucie de le savoir.

Ils voient passer le guérisseur des âmes, et nul ne se soulève pour lui demander assistance. Ils aiment leur mal : c’est désormais leur seul amour. Malheur à qui voudrait les guérir !

Sur les places publiques, des hommes, des peuples entiers défaillaient, et ils n’avaient aucun mal visible. Ils ressemblaient à de gras spectres assis à une table vide. Ô ciel ! éloignez de moi ce souvenir ! le cœur me manque en y pensant.

Pour la caducité, elle s’emparait des plus jeunes. Ils étaient ceux dont le sang était le plus glacé. Les enfants avaient le visage ridé et les cheveux blancs des vieillards. L’âme des jeunes filles était devenue sordide comme celle des centenaires.

Au milieu d’eux quelques-uns séchaient d’une soif