Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
LIVRE XIII.

glace, le verrez-vous avant moi, à travers les champs qui poudroient dans la tiède aurore des jours nouveaux ?

Des pâturages suspendus aux glaciers, des rochers hérissés dont les plis ressemblent aux rides du front du lion, des forêts qui traînent leurs chevelures dans les abîmes : voilà maintenant les lieux qui me plaisent.

Surtout j’aime à remonter le cours des fleuves jusqu’à leur source. Je me laisse guider par les eaux jaunâtres, neigeuses, jusqu’à l’entrée des glaciers. Les portes ogivales en sont construites de pur saphir. Les voûtes transparentes d’émeraude servent à la fois de temple et de palais d’hiver à ma marraine, quand elle passe dans ces endroits écartés. À mesure que les fleuves encore nains jaillissent sous le seuil, je leur jette des sorts qu’ils emportent avec fureur, de chute en chute, jusque dans le fond des vallées. Souvent ce n’est qu’un brin d’herbe d’or ou de verveine. Je le vois qui surnage, sans qu’aucune tempête réussisse jamais à l’engloutir.

Cependant les monts sourcilleux se colorent, le soir, de teintes pâles, roses, dorées ; ils semblent répondre à des signes entrevus par delà la terre, à des lueurs et à des pensées empourprées qu’ils échangent avec le ciel. Ô sage ! dis-moi quelle est la main qui touche ainsi leurs fronts ? Quelle vue ou quel souvenir couvre de cette rougeur subite la face de ces vierges géantes ? Réponds-moi clairement à cette question ; surtout ne me dis pas que ce sont là des lueurs terrestres. C’est une pensée, te dis-je, qui les force de rougir. Cette pensée, quelle est-elle ? La connais-tu ?