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LIVRE XIII.

plus haut, l’herbe menue disparaît elle-même. Là, Merlin, cessant presque de vivre, je suis heureuse.

Mais ces formes, ces images sont trop grandes pour nous. Je m’y trouve presque aussitôt dépaysée. Cette grandeur démesurée me terrifie ; et sitôt que j’ai atteint la cime, je voudrais fuir ce que je suis incapable de supporter sans vertige. Combien alors, du milieu de ces formes énormes qui me jettent dans la stupeur, je pense avec amour aux choses les plus petites ! Jamais je n’ai tant aimé les plus humbles fleurettes qu’en me trouvant sur la cime du monstrueux Wanguelé, qui regarde par-dessus l’épaule du Saint-Gothard lui-même.

Je vois le brin d’herbe, la fourmi, la goutte de rosée, puis je me retourne vers les sommets inviolés. En un clin d’œil je passe de cette petitesse à cette grandeur. Je me perds, dans cette contemplation de ce qu’il y a de plus chétif et de plus colossal. Mais je reviens toujours à ce qu’il y a de plus faible, de plus imperceptible. Je m’y repose de cette sublimité écrasante, je me reconnais dans la vie des éphémères.

Qu’y a-t-il de commun entre nous et ces monts immuables qui me consternent de leur impassible majesté ? Ils me donnent le vertige de la grandeur après le vertige de la petitesse. Pour les contempler en sûreté, j’aurais besoin de sentir dans mon cœur une force imperturbable, et c’est là ce qui me manque le plus. Je soupçonne que c’est du fond même de ce qu’ils appellent Dieu qu’il est permis de contempler, sans vertige, les précipices qui m’attirent.