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MERLIN L’ENCHANTEUR.

tous tes blasphèmes ? Ô Merlin ! je te demande grâce. N’ajoute pas un reproche ; ou plutôt console-moi dans cet abandonnement de toutes choses. Je m’avance en tremblant vers des régions désolées que tu ne visiteras pas, où règne un silence éternel et où ton nom même ne trouverait pas d’écho.

Quel est donc, Merlin, le perpétuel malentendu qui nous sépare ? M’es-tu, en effet, trop supérieur pour que je puisse te comprendre ? ou bien, es-tu jaloux de ma puissance ? Ah ! misérable puissance ! je la mets sous tes pieds. Sois l’être fort qui me protégera et m’expliquera à moi-même. Mais ne disputons plus, ô mon maître ! Je suis le roseau ; sois le chêne. Si j’ai jamais contesté avec toi, c’était là un grand tort, je le vois maintenant.

Du moins, n’espère pas me reléguer d’un mot au-dessous des mondes enchantés, dans les rangs de ces créatures sourdes que le soleil de l’âme n’a pas échauffées un seul jour. Quoi que tu fasses, ô prophète, barde, roi, il est une chose qui le reste impossible. Tu ne me feras pas rentrer dans la nuit de ceux qui n’ont jamais aimé.

Non, non, je ne deviendrai pas semblable à ces fées vagabondes qui, le cœur vide, sans regret, sans désir, promènent de lieux en lieux leur apathie, entre la vie et la mort. Toutes les fois qu’il m’est arrivé d’en rencontrer de pareilles dans les carrefours des bois, j’ai fui à grands pas. Leur vieillesse ridée ne m’atteindra jamais. Je garderai ma jeunesse immortelle ; car nos âmes se sont