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intérêts et leur ambition, à gouverner des civils, doublement étrangers à leur vie, comme pékins d’abord, comme indigènes ensuite, comment n’eussent-ils pas été fidèles à leur criterium du devoir militaire : niveler les individualités, les réduire à la subordination la plus stricte, enrayer un développement qui les amènerait certainement à une moindre docilité ?

Et il concluait : Non, ce n’est pas leur métier de gouverner des civils… Non, ils ne seront jamais des éducateurs… Chacun d’entre eux, en s’en allant, laissera les choses dans l’état où il les avait trouvées à son arrivée, sans aucune amélioration, en mettant les choses au mieux. C’est le règne de la stagnation, et ces territoires militaires sont séparés du restant du monde, de la France vivante et vibrante, de la vraie Algérie elle-même, par une muraille de Chine que l’on entretient, que l’on voudrait exhausser encore, rendre impénétrable à jamais, fief de l’armée, fermé à tout ce qui n’est pas elle.

Et une grande tristesse l’envahissait, à la pensée de cette besogne qui eût pu être si féconde, et qui était gâchée.

Ce qui augmentait encore l’amertume de son mécontentement, c’était son impuissance personnelle à rien améliorer dans cet état de choses dont il voyait clairement le danger social et national.

Occupant une situation infime dans la hiérarchie qui dominait tout, qui était la base de tout,