Aller au contenu

Page:Eberhardt - Dans l’ombre chaude de l’Islam, 1921.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans la bibliothèque du misanthrope bienfaisant, Isabelle Eberhardt apprit au hasard beaucoup de choses, et elle les savait avec goût.

À dix-huit ans, étudiant appliqué, dont l’horizon ne dépassait pas les vitres, elle écrivait le français, le russe, l’allemand, l’arabe et se tenait au courant des mouvements d’idées. Elle entretenait aussi quelques correspondances littéraires sous des pseudonymes variés Mahmoud Saâdi, Nicolas Podolinsky, etc., pour confronter son esprit a celui des autres, sans donner prise sur elle-même. Après la mort de sa mère et de son tuteur, commença, pour elle, une tout autre vie, qu’un peu de fortune facilita d’abord.

Pour la songeuse et la studieuse, pour la captive impatiente des livres, le moment vint où elle se trouva livrée à elle-même, libre de choisir sa voie.

Après les grands deuils, qui devaient revenir en ombres apaisantes, Isabelle Eberhardt hésite un peu sur le seuil de la triste villa genevoise qu’elle revoyait, en 1899, après de longs mois d’Afrique et qu’elle allait quitter pour toujours. Mais la caresse d’un beau crépuscule passe sur ses yeux elle cède, elle retourne aux bords qui l’ont conquise et, tout de suite, elle veut posséder les grands horizons lumineux, l’espace pur, le désert.

D’autres femmes, et la plus célèbre, lady Stanhope, petite-fille de lord Chatam et nièce de William Pitt, le grand homme d’État anglais, avaient déjà réalisé l’ambition des belles chevauchées au désert sous le costume arabe ; mais il n’est personne qui ait vécu le quotidien de la vie du Sud comme devait le faire Isabelle Eberhardt, personne qui, de cette vie profonde et monotone, ait rapporté autant de souvenirs.