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LA DEROUÏCHA


Sous le ciel noir, des nuages en lambeaux fuient, chassés par le vent qui hurle. Au loin, derrière les montagnes où une obscurité sinistre semble ouvrir les portes des ténèbres infinies, la mer déferle et gronde, tandis que mugissent les oued boueux qui roulent des arbres déracinés et des rochers arrachés au flanc déchiqueté des hautes collines rouges. Le pays est raviné, hérissé de chaînes de montagnes enchevêtrées, boursouflé d’un chaos de collines où la brousse jette des taches lépreuses.

Il fait froid, il fait désolé, il pleut…

Sur les cailloux aigus, dans les flaques d’eau glacée de la piste sans nom qui est la route du douar de Dahra, une femme avance péniblement, ses loques grisâtres arrachées, enflées comme des voiles par le vent. Maigre et voûtée comme le sont vite les bédouines porteuses d’enfants, elle s’appuie sur un bâton de zebboudj. Son visage sans âge est osseux. Les yeux, grands et fixes, ont la couleur terne des eaux dormantes et croupies. Des cheveux noirs