Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/155

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le jugement du public, la confusion ; dans ce mélange, il n’apprend jamais à estimer à leur valeur et à distinguer les différents genres. — Et puis chacun a ses exigences et ses goûts particuliers, qui le font se diriger là où déjà il a pu les satisfaire une fois ; au même arbre où vous avez cueilli aujourd’hui des figues, vous voudriez encore demain en trouver, et vous feriez mauvaise mine si, pendant la nuit, c’étaient des prunelles qui eussent poussé ! Quant à l’amateur de prunelles, qu’il aille les chercher dans les buissons. — Schiller avait la bonne idée de construire une salle particulière pour la tragédie, et de donner chaque semaine une représentation où les hommes seuls auraient été admis. Mais ces plans supposaient une très-grande capitale, et, avec nos petites ressources, ils n’étaient pas réalisables. »

Nous parlâmes des pièces d’Iffland et de Kotzebue, que Goethe dans leur genre place très-haut. « Toujours par suite de ce même défaut, commun à tout le monde, de ne pas savoir distinguer les genres, on a fait aux pièces de ces écrivains des reproches fort injustes. On attendra longtemps avant de revoir deux talents aussi populaires. »

Je louai les Célibataires d’Iffland, qui m’avaient beaucoup plu à la représentation. « C’est sans contredit le chef-d’œuvre d’Iffland, dit Goethe ; c’est la seule pièce où il s’élève de la prose dans l’idéal. »

Schiller avait fait une continuation des Célibataires, mais il s’était contenté de la raconter, sans l’écrire. Goethe m’a développé l’action scène par scène ; c’était très-gai et très-joli. Puis il m’a parlé de quelques pièces nouvelles de Platen[1]. « On voit dans ces pièces, a-t-il dit, l’influence

  1. Sans doute la Pantoufle de verre et Berengar.