Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/217

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en passant devant le théâtre, si je voyais les portes ouvertes, j’allais m’asseoir pendant des demi-heures sur les bancs vides du parterre et je regardais jouer en imagination. »

« Vous êtes un peu fou, me dit Goethe en riant, mais voilà les hommes que j’aime. Plût à Dieu que tout le public fût composé de pareils enfants ! Et au fond, vous avez raison ; il y a là quelque chose ! Celui qui n’a pas le goût usé et qui a encore assez de jeunesse trouvera difficilement un endroit où il puisse ressentir autant de bien-être qu’au théâtre. On ne vous demande rien ; si vous ne voulez pas, vous pouvez ne pas ouvrir la bouche ; vous êtes assis, aussi à l’aise qu’un roi, et vous regardez passer devant vous des images vivantes qui donnent à votre esprit et à vos sens tout le plaisir qu’ils peuvent désirer. Poésie, peinture, chant, musique, art dramatique, que n’y a-t-il pas ? Lorsque, dans une soirée, tous ces arts, tous ces charmes de jeunesse et de beauté réunissent contre nous leurs heureux efforts, alors c’est une fête à laquelle nulle autre ne peut se comparer. Et lors même que nous ne trouvons qu’un mélange de bon et de mauvais, cependant cela vaut toujours mieux que de regarder à sa fenêtre, ou de jouer au cercle une partie de whist dans la fumée des cigares. Le théâtre de Weimar, vous le savez, n’est pas du tout à dédaigner ; c’est encore un vieux rejeton de notre beau temps ; là se sont formés de nouveaux et de vigoureux talents, et nous pouvons encore entraîner et plaire par des œuvres qui offrent du moins l’apparence d’un ensemble. »

« C’est il y a vingt et trente ans, dis-je, que j’aurais voulu le voir ! »

« Nous avions alors des circonstances très-favorables