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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/346

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point de vue je verrais avec joie les sciences naturelles, arrivées à la clarté, se tenir fermes dans le vrai et ne plus chercher la transcendance, quand on a atteint les limites du concevable. Mais aux hommes le repos est impossible, et tout d’un coup, sans qu’on s’y attende, voilà la confusion qui reparaît.

« Ainsi, dans ce moment, ils ébranlent le Pentateuque de Moïse, et, si la critique destructive est sensible quelque part, c’est bien dans les questions religieuses ; car là tout repose sur la foi, à laquelle on ne peut revenir dès qu’on l’a perdue[1]. — Dans la poésie, la critique destructive n’est pas si nuisible. Wolf a renversé Homère, mais il n’a touché en rien au poëme, car ce poëme a la force merveilleuse des héros de la Walhalla, qui se taillent en pièces le matin et qui, à midi, se trouvent assis à table avec tous leurs membres, sains et saufs. »

Goethe était de la meilleure humeur et j’étais heureux de l’entendre encore parler sur ces grands sujets. — « Restons fermement, en silence, sur le droit chemin, dit-il en finissant, et laissons aller les autres ; voilà ce qui vaut le mieux. »

Mercredi, 7 février 1827.

Goethe aujourd’hui a blâmé certains critiques, que Lessing ne satisfait pas et qui lui demandent l’impossi-

  1. Goethe oscille sans cesse, à l’égard des doctrines nouvelles, entre plusieurs pensées tout à fait opposées. Le 15 octobre 1825, au nom de l’intérêt public, il regrettait la vieille histoire romaine, détruite par Niebuhr ; le 1er février 1827, il célèbre, au contraire, ses découvertes ; aujourd’hui, il blâme les travaux critiques qui s’attaquent à la Bible. Tantôt domine en lui le poëte, tantôt l’ennemi de l’erreur, tantôt, enfin, l’ami du calme. — Il ne faut pas en vouloir à la vérité d’être parfois révolutionnaire ; ce n’est pas sa faute : « le vrai est ce qu’il peut. » Goethe lui-même détruit avec joie, avec violence, quand il a devant lui Newton.